La blanche biche

Celles qui vont au bois, c’est la fille et la mère ;
L’une s’en va chantant, l’autre se désespère ;
« Qu’avez-vous à pleurer, Marguerite, ma chère ? »

J’ai grand douleur en l’âme, qui me fait pâle et triste
Je suis fille le jour ; la nuit suis blanche biche ;
La chasse est après moi, par halliers et par friches.

Et de tous les chasseurs, le pire, ma mère, ma mie,
C’est mon frère René ! Vite ! Allez, qu’on lui dit
Qu’il arrête ses chiens jusqu’à demain réssie.

Arrête tes chiens, René, arrête, je t’en prie !
Trois fois les a cornés, sans que pas un l’ait ouï.
La quatrième fois, la blanche biche est pri’e.

Mande donc le dépouilleur, qu’il dépouille la bête.
Le dépouilleur a dit : y a encore mesfaite :
Elle a sein d’une fille, blonds cheveux sur la tête.

Quand ce fut pour souper, que tout le monde vienne vite !
Nous voici tous placés, hors ma sœur Marguerite,
Quand je la vois venir, ma vue est réjouie.

Vous n’avez qu’à manger, tueurs de pauvres filles !
Ma tête est dans ce plat, et mon cœur aux chevilles
Le reste de mon corps devant les landiers grille.

Le bras du dépouilleur est rouge jusqu’à l’aissène !
Dans le sang que ma mère avait mis dans mes veines,
J’ai laissé boire mes chiens, comme à l’eau des fontaines.

Pour un si fort malheur, je ferai pénitence ;
Serai pendant sept ans, sans mettre chemise blanche,
Et j’aurai, sous l’épine, pour toit, rien qu’une branche !